Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/252

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Le commodore se laissa tomber tout essoufflé dans son fauteuil de bambou et garda le silence.

« Eh bien, mon oncle, quand même cette accusation odieuse et stupide serait vraie, faudra-t-il pour cela repousser M. d’Aspremont et lui faire un crime d’un malheur ? N’avez-vous pas reconnu que le mal qu’il pouvait produire ne dépendait pas de sa volonté, et que jamais âme ne fut plus aimante, plus généreuse et plus noble ?

— On n’épouse pas les vampires, quelque bonnes que soient leurs intentions, répondit le commodore.

— Mais tout cela est chimère, extravagance, superstition ; ce qu’il y a de vrai, malheureusement, c’est que Paul s’est frappé de ces folies, qu’il a prises au sérieux ; il est effrayé, halluciné ; il croit à son pouvoir fatal, il a peur de lui-même, et chaque petit accident qu’il ne remarquait pas autrefois, et dont aujourd’hui il s’imagine être la cause, confirme en lui cette conviction. N’est-ce pas à moi, qui suis sa femme devant Dieu, et qui le serai bientôt devant les hommes, — bénie par vous, mon cher oncle, — de calmer cette imagination surexcitée, de chasser ces vains fantômes, de rassurer, par ma sécurité apparente et réelle, cette anxiété hagarde, sœur de la monomanie, et de sauver, au moyen du bonheur, cette belle âme troublée, cet esprit charmant en péril ?

— Vous avez toujours raison, miss Ward, dit