Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/291

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« Je ne regrette rien, puisque tu es sauvée : qu’ai-je perdu, en effet ? le spectacle monotone des saisons et des jours, la vue des décorations plus ou moins pittoresques où se déroulent les cent actes divers de la triste comédie humaine. — La terre, le ciel, les eaux, les montagnes, les arbres, les fleurs : vaines apparences, redites fastidieuses, formes toujours les mêmes ! Quand on a l’amour, on possède le vrai soleil, la clarté qui ne s’éteint pas ! »

Ainsi parlait, dans son monologue intérieur, le malheureux Paul d’Aspremont, tout enfiévré d’une exaltation lyrique où se mêlait parfois le délire de la souffrance.

Peu à peu ses douleurs s’apaisèrent ; il tomba dans ce sommeil noir, frère de la mort et consolateur comme elle.

Le jour, en pénétrant dans la chambre, ne le réveilla pas. — Midi et minuit devaient désormais, pour lui, avoir la même couleur ; mais les cloches tintant l’Angelus à joyeuses volées bourdonnaient vaguement à travers son sommeil, et, peu à peu devenant plus distinctes, le tirèrent de son assoupissement.

Il souleva ses paupières, et, avant que son âme endormie se fût souvenue, il eut une sensation horrible. Ses yeux s’ouvraient sur le vide, sur le noir, sur le néant, comme si, enterré vivant, il se fût réveillé de léthargie dans un cercueil ; mais il se remit bien vite. N’en se-