Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/351

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chaient le tapis, et, doucement étendu devant l’âtre à la distance d’un rôti à la broche, je faisais danser au bout de mon pied une large babouche marocaine d’un jaune oriental et d’une forme bizarre ; mon chat était couché sur ma manche, comme celui du prophète Mahomet, et je n’aurais pas changé ma position pour tout l’or du monde.

Mes regards distraits, déjà noyés par cette délicieuse somnolence qui suit la suspension volontaire de la pensée, erraient, sans trop les voir, de la charmante esquisse de la Madeleine au désert de Camille Roqueplan au sévère dessin à la plume d’Aligny et au grand paysage des quatre inséparables, Feuchères, Séchan, Diéterle et Despléchins, richesse et gloire de mon logis de poète ; le sentiment de la vie réelle m’abandonnait peu à peu, et j’étais enfoncé bien avant sous les ondes insondables de cette mer d’anéantissement où tant de rêveurs orientaux ont laissé leur raison, déjà ébranlée par le haschich et l’opium.

Le silence le plus profond régnait dans la chambre ; j’avais arrêté la pendule pour ne pas entendre le tic-tac du balancier, ce battement de pouls de l’éternité ; car je ne puis souffrir, lorsque que suis oisif, l’activité bête et fiévreuse de ce disque de cuivre jaune qui va d’un coin à l’autre de sa cage et marche toujours sans faire un pas.

Tout à coup, et kling et klang, un coup de