Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/361

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ment costumés. Il se rangea contre le mur pour laisser passer le cortège ; mais il ne put le faire si précipitamment qu’il n’eût le temps de voir, par l’interstice des courtines qu’une folle bouffée d’air souleva, une fort belle dame assise sur des coussins de brocart d’or. La dame, se fiant sur l’épaisseur des rideaux et se croyant à l’abri de tout regard téméraire, avait relevé son voile à cause de la chaleur. Ce ne fut qu’un éclair ; cependant cela suffit pour faire tourner la tête du pauvre Mahmoud-Ben-Ahmed : la dame avait le teint d’une blancheur éblouissante, des sourcils que l’on eût pu croire tracés au pinceau, une bouche de grenade, qui en s’entr’ouvrant laissait voir une double file de perles d’Orient plus fines et plus limpides que celles qui forment les bracelets et le collier de la sultane favorite, un air agréable et fier, et dans toute sa personne je ne sais quoi de noble et de royal.

Mahmoud-Ben-Ahmed, comme ébloui de tant de perfections, resta longtemps immobile à la même place, et, oubliant qu’il était sorti pour faire des emplettes, il retourna chez lui les mains vides, emportant dans son cœur la radieuse vision.

Toute la nuit il ne songea qu’à la belle inconnue, et dès qu’il fut levé il se mit à composer en son honneur une longue pièce de poésie, où les comparaisons les plus fleuries et les plus galantes étaient prodiguées.