Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/366

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moud-Ben-Ahmed, car il était poète, et ne pouvait rester insensible au magnifique spectacle qui s’offrait à sa vue.

De cette hauteur, la ville du Caire se déployait devant lui comme un de ces plans en relief où les giaours retracent leurs villes fortes. Les terrasses ornées de pots de plantes grasses, et bariolées de tapis ; les places où miroitait l’eau du Nil, car on était à l’époque de l’inondation ; les jardins d’où jaillissaient des groupes de palmiers, des touffes de caroubiers ou de nopals ; les îles de maisons coupées de rues étroites ; les coupoles d’étain des mosquées ; les minarets frêles et découpés à jour comme un hochet d’ivoire ; les angles obscurs ou lumineux des palais, formaient un coup d’œil arrangé à souhait pour le plaisir des yeux. Tout au fond, les sables cendrés de la plaine confondaient leurs teintes avec les couleurs laiteuses du firmament, et les trois pyramides de Gizeh, vaguement ébauchées par un rayon bleuâtre, dessinaient au bord de l’horizon leur gigantesque triangle de pierre.

Assis sur une pile de carreaux et le corps enveloppé par les circonvolutions élastiques du tuyau de son narghilé, Mahmoud-Ben-Ahmed tâchait de démêler dans la transparente obscurité la forme lointaine du palais où dormait la belle Ayesha. Un silence profond régnait sur ce tableau qu’on aurait pu croire peint, car aucun souffle, aucun murmure n’y révélaient la pré-