Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/463

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tendre comme le cœur d’une clochette sauvage ; quoique sa figure fût voilée, je la sentais jeune, adorable et charmante, et mon âme s’élançait de son côté, les bras tendus, les ailes ouvertes.

L’ombre comprit mon trouble par intuition ou sympathie, et dit d’une voix douce et cristalline comme un harmonica :

« Si tu as le courage d’aller embrasser sur la bouche celle qui fut moi, et dont le corps est couché dans la ville noire, je vivrai six mois encore, et ma seconde vie sera pour toi. »

Je me levai, et me fis cette question : à savoir, si je n’étais pas le jouet de quelque illusion, et si tout ce qui se passait n’était pas un rêve.

C’était une dernière lueur de la lampe de la raison éteinte par le sommeil.

Je demandai à mes deux amis ce qu’ils pensaient de tout cela.

L’imperturbable Karr prétendit que l’aventure était commune, qu’il en avait eu plusieurs du même genre, et que j’étais d’une grande naïveté de m’étonner de si peu.

Esquiros expliqua tout au moyen du magnétisme.

« Allons, c’est bien, je vais y aller ; mais je suis en pantoufles…

— Cela ne fait rien, dit Esquiros, je pressens une voiture à la porte. »

Je sortis, et je vis, en effet, un cabriolet à deux chevaux qui semblait attendre. Je montai dedans.