Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/468

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Elle se tenait debout devant moi, et me pria, demande assez bizarre, de lui dire son nom.

Je lui répondis sans hésiter qu’elle se nommait Carlotta, ce qui était vrai ; ensuite elle me raconta qu’elle avait été chanteuse, et qu’elle était morte si jeune, qu’elle ignorait les plaisirs de l’existence, et qu’avant d’aller s’enfoncer pour toujours dans l’immobile éternité, elle voulait jouir de la beauté du monde, s’enivrer de toutes les voluptés et se plonger dans l’océan des joies terrestres ; qu’elle se sentait une soif inextinguible de vie et d’amour.

Et, en disant tout cela avec une éloquence d’expression et une poésie qu’il n’est pas en mon pouvoir de rendre, elle nouait ses bras en écharpe autour de mon cou et entrelaçait ses mains fluettes dans les boucles de mes cheveux.

Elle parlait en vers d’une beauté merveilleuse, où n’atteindraient pas les plus grands poètes éveillés, et quand le vers ne suffisait plus pour rendre sa pensée, elle lui ajoutait les ailes de la musique, et c’était des roulades, des colliers de notes plus pures que des perles parfaites, des tenues de voix, des sons filés bien au-dessus des limites humaines, tout ce que l’âme et l’esprit peuvent rêver de plus tendre, de plus adorablement coquet, de plus amoureux, de plus ardent, de plus ineffable.

« Vivre six mois, six mois encore, » était le refrain de toutes ses cantilènes.