Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/476

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d’une tour, ils allaient poignarder un souverain dans son palais, au milieu de ses gardes.

Par quels artifices le Vieux de la Montagne obtenait-il une abnégation si complète ?

Au moyen d’une drogue merveilleuse dont il possédait la recette, et qui a la propriété de procurer des hallucinations éblouissantes.

Ceux qui en avaient pris trouvaient, au réveil de leur ivresse, la vie réelle si triste et si décolorée, qu’ils en faisaient avec joie le sacrifice pour rentrer au paradis de leurs rêves ; car tout homme tué en accomplissant les ordres du scheikh allait au ciel de droit, ou, s’il échappait, était admis de nouveau à jouir des félicités de la mystérieuse composition.

Or, la pâte verte dont le docteur venait de nous faire une distribution était précisément la même que le Vieux de la Montagne ingérait jadis à ses fanatiques sans qu’ils s’en aperçussent, en leur faisant croire qu’il tenait à sa disposition le ciel de Mahomet et les houris de trois nuances, — c’est-à-dire du haschisch, d’où vient haschschaschin, mangeur de haschisch, racine du mot assassin, dont l’acception féroce s’explique parfaitement par les habitudes sanguinaires des affidés du Vieux de la Montagne.

Assurément, les gens qui m’avaient vu partir de chez moi à l’heure où les simples mortels prennent leur nourriture ne se doutaient pas que j’allasse à l’île Saint-Louis, endroit vertueux