Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/487

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si haute portée et d’un sel si piquant, que j’étais obligé de me tenir les côtes dans mon coin.

Daucus-Carota exécutait, tout en s’essuyant les yeux, des pirouettes et des cabrioles inconcevables, surtout pour un homme qui avait des jambes en racine de mandragore, et répétait d’un ton burlesquement piteux :

« C’est aujourd’hui qu’il faut mourir de rire ! »

Ô vous qui avez admiré la sublime stupidité d’Odry, la niaiserie enrouée d’Alcide Tousez, la bêtise pleine d’aplomb d’Arnal, les grimaces de macaque de Ravel, et qui croyez savoir ce que c’est qu’un masque comique, si vous aviez assisté à ce bal de Gustave évoqué par le haschisch, vous conviendriez que les farceurs les plus désopilants de nos petits théâtres sont bons à sculpter aux angles d’un catafalque ou d’un tombeau !

Que de faces bizarrement convulsées ! que d’yeux clignotants et pétillants de sarcasmes sous leur membrane d’oiseau ! quels rictus de tirelire ! quelles bouches en coups de hache ! quels nez facétieusement dodécaèdres ! quels abdomens gros de moqueries pantagruéliques !

Comme à travers tout ce fourmillement de cauchemar sans angoisse se dessinaient par éclairs des ressemblances soudaines et d’un effet irrésistible, des caricatures à rendre jaloux Daumier et Gavarni, des fantaisies à faire pâmer d’aise les merveilleux artistes chinois, les Phidias du poussah et du magot !