Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/490

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en rampant sous les fauteuils elles se cachèrent entre les plis des rideaux en poussant de petits soupirs étouffés, et de nouveau il me sembla que j’étais seul dans le salon.

L’orgue colossal de Fribourg ne produit pas, à coup sûr, une masse de sonorité plus grande que le piano touché par le voyant (on appelle ainsi l’adepte sobre). Les notes vibraient avec tant de puissance qu’elles m’entraient dans la poitrine comme des flèches lumineuses ; bientôt l’air joué me parut sortir de moi-même ; mes doigts s’agitaient sur un clavier absent ; les sons en jaillissaient bleus et rouges, en étincelles électriques ; l’âme de Weber s’était incarnée en moi.

Le morceau achevé, je continuai par des improvisations intérieures, dans le goût du maître allemand, qui me causaient des ravissements ineffables ; quel dommage qu’une sténographie magique n’ait pu recueillir ces mélodies inspirées, entendues de moi seul, et que je n’hésite pas, c’est bien modeste de ma part, à mettre au-dessus des chefs-d’œuvre de Rossini, de Meyerbeer, de Félicien David.

Ô Pillet ! ô Vatel ! un des trente opéras que je fis en dix minutes vous enrichirait en six mois.

À la gaieté un peu convulsive du commencement avait succédé un bien-être indéfinissable, un calme sans bornes.