Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/492

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eût tendu en vain du haut du balcon, à travers la nuit, ses beaux bras d’albâtre, Roméo serait resté au bas de l’échelle de soie, et, quoique je sois éperdument amoureux de l’ange de jeunesse et de beauté créé par Shakspeare, je dois convenir que la plus belle fille de Vérone, pour un haschischin, ne vaut pas la peine de se déranger.

Aussi je regardais d’un œil paisible, bien que charmé, la guirlande de femmes idéalement belles qui couronnaient la frise de leur divine nudité ; je voyais luire des épaules de satin, étinceler des seins d’argent, plafonner de petits pieds à plantes roses, onduler des hanches opulentes, sans éprouver la moindre tentation. Les spectres charmants qui troublaient saint Antoine n’eussent eu aucun pouvoir sur moi.

Par un prodige bizarre, au bout de quelques minutes de contemplation, je me fondais dans l’objet fixé et je devenais moi-même cet objet.

Ainsi je m’étais transformé en nymphe syrinx, parce que la fresque représentait en effet la fille du Ladon poursuivie par Pan.

J’éprouvais toutes les terreurs de la pauvre fugitive, et je cherchais à me cacher derrière des roseaux fantastiques pour éviter le monstre à pieds de bouc.