Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/498

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Daucus-Carota l’excitait comme on fait d’un chien qu’on veut faire battre :

« Mords-le ! mords-le ! de la viande de marbre pour une bouche d’airain, c’est un fier régal. »

Sans me laisser effrayer par cette horrible bête, je passai outre. Une bouffée d’air froid vint me frapper la figure, et le ciel nocturne nettoyé de nuages m’apparut tout à coup. Un semis d’étoiles poudrait d’or les veines de ce grand bloc de lapis-lazuli.

J’étais dans la cour.

Pour vous rendre l’effet que me produisit cette sombre architecture, il me faudrait la pointe dont Piranèse rayait le vernis noir de ses cuivres merveilleux : la cour avait pris les proportions du Champ de Mars, et s’était en quelques heures bordée d’édifices géants qui découpaient sur l’horizon une dentelure d’aiguilles, de coupoles, de tours, de pignons, de pyramides, dignes de Rome et de Babylone.

Ma surprise était extrême ; je n’avais jamais soupçonné l’île Saint-Louis de contenir tant de magnificences monumentales, qui d’ailleurs eussent couvert vingt fois sa superficie réelle, et je ne songeais pas sans appréhension au pouvoir des magiciens qui avaient pu, dans une soirée, élever de semblables constructions.

« Tu es le jouet de vaines illusions ; cette cour est très petite, murmura la voix ; elle a vingt-sept pas de long sur vingt-cinq de large.