Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/65

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faire une expérience qui n’a jamais été tentée en Europe, je ne dois pas vous cacher que cet échange d’âmes a ses périls. Frappez votre poitrine, interrogez votre cœur. ― Risquez-vous franchement votre vie sur cette carte suprême ? L’amour est fort comme la mort, dit la Bible.

― Je suis prêt, répondit simplement Octave.

― Bien, jeune homme, s’écria le docteur en frottant ses mains brunes et sèches avec une rapidité extraordinaire, comme s’il eût voulu allumer du feu à la manière des sauvages. ― Cette passion qui ne recule devant rien me plaît. Il n’y a que deux choses au monde : la passion et la volonté. Si vous n’êtes pas heureux, ce ne sera certes pas de ma faute. Ah ! mon vieux Brahma-Logum, tu vas voir du fond du ciel d’Indra où les asparas t’entourent de leurs chœurs voluptueux, si j’ai oublié la formule irrésistible que tu m’as râlée à l’oreille en abandonnant ta carcasse momifiée. Les mots et les gestes, j’ai tout retenu. ― À l’œuvre ! à l’œuvre ! Nous allons faire dans notre chaudron une étrange cuisine, comme les sorcières de Macbeth, mais sans l’ignoble sorcellerie du Nord. ― Placez-vous devant moi, assis dans ce fauteuil ; abandonnez-vous en toute confiance à mon pouvoir. Bien ! les yeux sur les yeux, les mains contre les mains. ― Déjà le charme agit. Les notions de temps et d’espace se perdent, la conscience du moi s’efface, les paupières s’abaissent ; les muscles, ne