Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/95

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Quelle raillerie infernale l’incarnait, lui, le mari, dans le corps de l’amant de cette femme, jusque-là crue si pure ? ― Après avoir été l’époux, il allait être le galant ! Sarcastique métamorphose, renversement de position à devenir fou, il pourrait se tromper lui-même, être à la fois Clitandre et George Dandin !

Toutes ces idées bourdonnaient tumultueusement dans son crâne ; il sentait sa raison près de s’échapper, et il fit, pour reprendre un peu de calme, un effort suprême de volonté. Sans écouter Jean qui l’avertissait que le déjeuner était servi, il continua avec une trépidation nerveuse l’examen du portefeuille mystérieux.

Les feuillets composaient une espèce de journal psychologique, abandonné et repris à diverses époques ; en voici quelques fragments, dévorés par le comte avec une curiosité anxieuse :

« Jamais elle ne m’aimera, jamais, jamais ! J’ai lu dans ses yeux si doux ce mot si cruel, que Dante n’en a pas trouvé de plus dur pour l’inscrire sur les portes de bronze de la Cité Dolente : « Perdez tout espoir. » Qu’ai-je fait à Dieu pour être damné vivant ? Demain, après-demain, toujours, ce sera la même chose ! Les astres peuvent entre-croiser leurs orbes, les étoiles en conjonction former des nœuds, rien dans mon sort ne changera. D’un mot, elle a dissipé le rêve ; d’un geste, brisé l’aile à la chimère. Les combinaisons fabuleuses des impossibilités ne m’offrent au-