Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/129

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blanc, appuyée sur le bord de la calèche, battait la mesure d’un air qu’elle fredonnait intérieurement et sans que le son sortît de ses lèvres. Le ravissement où elle était plongée était si grand, que de temps en temps elle se prenait à rire aux éclats d’un air spasmodique et presque fiévreux ; elle sentait le besoin de pousser des cris, de se faire mettre à terre et de courir de toutes ses forces ou de faire quelque action véhémente pour ouvrir une soupape d’échappement aux jets exubérants de ses facultés. Toute langueur avait disparu. Elle, qui hier se faisait porter dans son bain et pouvait à peine soulever son pied pour monter une marche, accomplirait en se jouant les douze travaux d’Hercule, ou peu s’en faut.

La curiosité, le désir et l’amour, ces trois leviers terribles, dont un seul enlèverait le monde, exaltent au plus haut degré toutes les puissances de son âme ; il n’y a pas en elle une seule fibre qui ne soit tendue à rompre et qui ne vibre comme la corde d’une lyre.

Elle va donc voir Fortunio, l’entendre, lui parler, se rassasier de sa beauté, nourriture divine ; suspendre son âme à ses lèvres, et boire chacune de ses paroles plus précieuses que les diamants qui tombent de la bouche des jeunes filles vertueuses dans les Contes de Perrault. ― Ah ! respirer l’air où son souffle s’est mêlé, être caressée du même rayon de soleil qui a joué sur