Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/159

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même du Code, les lois n’existant plus pour quelqu’un qui a vingt millions de rente ; il laissa cette vigoureuse plante humaine pousser à droite et à gauche ses jets vivaces et chargés d’un parfum sauvage ; il n’émonda rien, ne retrancha rien, ni une épine, ni un nœud, ni une branche bizarrement contournée ; mais aussi il ne fit pas tomber une seule feuille, une seule fleur. Fortunio resta tel que Dieu l’avait fait.

Jamais un désir inassouvi ne rentra dans son cœur pour le dévorer avec ses dents de rat ; ses passions, toujours satisfaites, ne laissaient sur son front aucun pli, aucune ride ; il était doux, calme et fort comme un dieu, dont il avait presque la puissance exterminatrice. Jeune, bien fait, vigoureux, riche, spirituel, il ne connaissait personne au monde qu’il pût envier, et il se sentait envié partout. Il n’avait pas même à désirer la beauté de la femme, car ses maîtresses se plaisaient à s’avouer vaincues et inférieures à lui pour l’inimitable perfection de ses formes.

À quinze ans il avait un sérail, cinq cents esclaves de toutes couleurs pour le servir, et autant de lacks de roupies qu’il en pouvait dépenser ; le trésor de son oncle lui était ouvert, et il y puisait largement.

Jamais le souci de son avenir ou de sa fortune ne vint ternir son beau front du reflet de son aile de chauve-souris : il vivait nonchalamment dans une atmosphère d’or, ne s’ima-