Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/197

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Une seconde cour contenait le logement des esclaves.

Un inconvénient obligé de cette construction était de ne point avoir de vue ; ― Fortunio, esprit très inventif et que rien n’embarrassait, avait paré à cet inconvénient : les fenêtres de son salon donnaient sur des dioramas exécutés d’une façon merveilleuse et de l’illusion la plus complète.

Aujourd’hui, c’était Naples avec sa mer bleue, son amphithéâtre de maisons blanches, son volcan panaché de flammes, ses îles blondes et fleuries ; demain, Venise, les dômes de marbre de San-Georgio, la Dogana ou le Palais Ducal ; ou bien une vue de Suisse, si le seigneur Fortunio se trouvait ce jour-là d’humeur pastorale ; le plus souvent c’étaient des perspectives asiatiques, Bénarès, Madras, Masulipatnam ou tout autre endroit pittoresque.

Le valet de chambre entrait le matin dans sa chambre et lui demandait : « Quel pays voulez-vous qu’on vous serve aujourd’hui ?

― Qu’avez-vous de prêt ? disait Fortunio ; voyons votre carte. » Et le valet tendait à Fortunio un portefeuille de nacre où les noms des sites et des villes étaient soigneusement gravés. Fortunio marquait la vue qui lui était inconnue ou qu’il avait la fantaisie de revoir, comme s’il se fût agi de prendre une glace chez Tortoni.

Il vivait là en joie comme un rat dans un