Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/200

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Orient, en pleines Mille et une Nuits, et pourtant la rue boueuse, infecte et bruyante, bourdonnait, grouillait et fourmillait à deux pas de là ; ― la lanterne du commissaire de police balançait au bout d’une potence son étoile blafarde dans la brume ; les libraires vendaient les cinq codes avec leurs tranches de diverses couleurs ; la charte constitutionnelle ouvrait ses fleurs tricolores, découpées en façon de cocardes ; l’on respirait l’atmosphère de gaz hydrogène et de mélasse de la civilisation moderne ; l’on pataugeait dans le cloaque de la plus boueuse prose ; ce n’était que tumulte, fumée et pluie, laideur et misère, fronts jaunes sous un ciel gris, l’affreux, l’ignoble Paris que vous savez.

De l’autre côté du mur, un petit monde étincelant, tiède, doré, harmonieux, parfumé, un monde de femmes, d’oiseaux et de fleurs, un palais enchanté que le magicien Fortunio avait eu l’art de rendre invisible au milieu de Paris, ville peu favorable aux prestiges ; un rêve de poète exécuté par un millionnaire poétique, chose aussi rare qu’un poète millionnaire, s’épanouissait comme une fleur merveilleuse des contes arabes.

Ici, le travail aux bras nus et noircis, à la poitrine haletante comme un soufflet de forge ; — là, le doux loisir nonchalamment appuyé sur son coude ; la délicate paresse, aux mains blanches et frêles, se reposant le jour de la fatigue d’avoir