Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/236

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de goudron fondu, relevée par les âcres parfums des navires arrivant de Batavia, chargés de poivre, de cannelle, de gingembre, de cochenille, flottait dans l’air par épaisses bouffées comme la fumée d’une immense cassolette allumée en l’honneur du commerce.

Tiburce, espérant trouver dans la classe inférieure le vrai type flamand et populaire, entra dans les tavernes et les estaminets ; il y but du faro, du lambick, de la bière blanche de Louvain, de l’ale, du porter, du whiskey, voulant faire par la même occasion connaissance avec le Bacchus septentrional. — Il fuma aussi des cigares de plusieurs espèces, mangea du saumon, de la sauer-kraut, des pommes de terre jaunes, du roastbeeef saignant, et s’assimila toutes les jouissances du pays.

Pendant qu’il dînait, des Allemandes à figures busquées, basanées comme des Bohêmes, avec des jupons courts et des béguins d’Alsaciennes, vinrent piauler piteusement devant sa table un lieder lamentable en s’accompagnant du violon et autres instruments disgracieux. La blonde Allemagne, comme pour narguer Tiburce, s’était barbouillée du hâle le plus foncé ; il leur jeta tout en colère une poignée de cents qui lui valut un autre lieder de reconnaissance plus aigu et plus barbare que le premier.

Le soir, il alla voir dans les musicos les matelots danser avec leurs maîtresses ; toutes