Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/272

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elle avait porté de la dentelle et qui connaissait son goût pour les fleurs.

Dans la journée, Tiburce vint faire le pied de grue devant la maison, sous prétexte de tirer le crayon de quelque architecture bizarre ; il resta là fort longtemps, labourant avec un style épointé un méchant carré de vélin. — Gretchen fit la morte à son tour ; pas un pli ne remua, pas une fenêtre ne s’ouvrit ; la maison semblait endormie. Retranchée dans un angle, elle put, au moyen du miroir de son espion, considérer Tiburce tout à son aise. — Elle vit qu’il était grand, bien fait, avec un air de distinction sur toute sa personne, la figure régulière, l’œil triste et doux, la physionomie mélancolique, — ce qui la toucha beaucoup, accoutumée qu’elle était à la santé rubiconde des visages brabançons. — D’ailleurs, Tiburce, quoiqu’il ne fût ni un lion ni un merveilleux, ne manquait pas d’élégance naturelle, et devait paraître un fashionable accompli à une jeune fille aussi naïve que Gretchen : au boulevard de Gand il eût semblé à peine suffisant, rue Kipdorp il était superbe.

Au milieu de la nuit, Gretchen, par un enfantillage adorable, se leva pieds nus pour aller regarder son bouquet ; elle plongea sa figure dans les touffes et elle baisa Tiburce sur les lèvres rouges d’un magnifique dahlia ; — elle roula sa tête avec passion dans les vagues bigarrées de ce bain de fleurs, savourant à longs traits leurs eni-