Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/279

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nent conseil lorsqu’ils veulent faire choix d’un modèle, comme l’on consulte un écuyer pour l’achat d’un cheval. Assurément, personne ne connaît mieux que vous le côté physique de la femme ; — vous êtes sur ce point de la force d’un statuaire athénien ; mais vous avez, tant la poésie vous occupait, supprimé la nature, le monde et la vie. Vos maîtresses n’ont été pour vous que des tableaux plus ou moins réussis ; — pour les belles et les jolies, votre amour était dans la proportion d’un Titien à un Boucher ou à un Vanloo ; mais vous ne vous êtes jamais inquiété si quelque chose palpitait et vibrait sous ces apparences. — Quoique vous ayez le cœur bon, la douleur et la joie vous semblent deux grimaces qui dérangent la tranquillité des lignes : la femme est pour vous une statue tiède.

Ah ! malheureux enfant, jetez vos livres au feu, déchirez vos gravures, brisez vos plâtres, oubliez Raphaël, oubliez Homère, oubliez Phidias, puisque vous n’avez pas le courage de prendre un pinceau, une plume ou un ébauchoir ; à quoi vous sert cette admiration stérile ? où aboutiront ces élans insensés ? N’exigez pas de la vie plus qu’elle ne peut donner. Les grands génies ont seuls le droit de n’être pas contents de la création. Ils peuvent aller regarder le sphinx entre les deux yeux, car ils devinent ses énigmes. — Mais vous n’êtes pas un grand génie ; soyez simple de cœur, aimez qui vous aime, et comme dit