Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/30

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aussi vaste que la mer d’airain, supportée par douze bœufs, dont il est parlé dans l’Écriture, et que les plus rudes buveurs ne soulevaient qu’avec appréhension.

« Mercure, verse-moi dans ce dé à coudre une goutte d’un liquide quelconque, car la soif m’étrangle comme une cravate trop serrée. »

Mercure lui versa de haut, comme les pages des tableaux de Terburg, le contenu d’une urne antique magnifiquement travaillée et dont les anses étaient formées par deux amours cherchant à s’embrasser.

Le jeune Fortunio empoigna la lourde coupe d’une main ferme et la vida d’un seul trait. Ce beau fait d’armes lui valut l’admiration universelle.

« Oh ! Mercure, ne reste-t-il pas encore un peu de cette piquette dans la cave de ton maître ? Je voudrais bien en boire une autre gorgée. »

Mercure, atterré, hésita un instant, regardant les yeux de George pour savoir s’il devait obéir ; mais les yeux de George, enveloppés d’un nuageux brouillard d’ivresse, ne disaient exactement rien.

« Eh bien ! brute, faut-il te répéter deux fois les choses ? Si j’étais ton maître, je te ferais corroyer tout vif et pendre un peu par les pieds, en attendant mieux. »

Le nègre Mercure courut vite prendre un autre vase sur un autre buffet, le renversa au-dessus