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grosseur énorme, d’une eau à rivaliser avec le Régent et le Sancy, et qui lançait à droite et à gauche de folles bluettes de lumière.

Musidora était en proie à la plus violente émotion, quoiqu’elle eût l’apparence d’une grande liberté d’esprit.

Un instinct délicat, un sentiment profond de la beauté l’avait jusqu’alors préservée d’aimer. À travers la folle vie de courtisane, elle avait conservé une ignorance complète de la passion. Ses sens, excités de trop bonne heure, ne lui disaient rien ou peu de chose, et toutes les liaisons qu’elle nouait et dénouait si facilement n’étaient que d’intérêt ou de pur caprice. ― Comme à toutes les femmes qui en ont beaucoup vu, les hommes lui inspiraient un dégoût profond. — Une courtisane connaît mieux un homme en une nuit qu’une honnête femme ne le connaît en dix ans ; car l’on n’est vrai qu’avec elles. ― À quoi bon se gêner ? Aussi l’être qui résiste à ce terrible laisser-aller et qui paraît aimable encore dans ce déshabillé complet est-il prodigieusement et frénétiquement aimé.

La petite Musidora trouvait les hommes profondément méprisables, et de plus fort laids. Le dehors de la boîte ne lui plaisait guère plus que le dedans. Ces figures insignifiantes ou difformes, terreuses ou apoplectiques, infiltrées de fiel ou martelées de rouge, bleuies par la barbe, sillonnées de plis profonds, ces cheveux rudes et sau-