Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/367

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mondain et de Sardanapale. Un seul regard trop plein de complaisance jeté sur une femme pensa causer la perte de mon âme ; mais enfin, avec l’aide de Dieu et de mon saint patron, je suis parvenu à chasser l’esprit malin qui s’était emparé de moi. Mon existence s’était compliquée d’une existence nocturne entièrement différente. Le jour, j’étais un prêtre du Seigneur, chaste, occupé de la prière et des choses saintes ; la nuit, dès que j’avais fermé les yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant ; et lorsqu’au lever de l’aube je me réveillais, il me semblait au contraire que je m’endormais et que je rêvais que j’étais prêtre. De cette vie somnambulique il m’est resté des souvenirs d’objets et de mots dont je ne puis pas me défendre, et, quoique je ne sois jamais sorti des murs de mon presbytère, on dirait plutôt, à m’entendre, un homme ayant usé de tout et revenu du monde, qui est entré en religion et qui veut finir dans le sein de Dieu des jours trop agités, qu’un humble séminariste qui a vieilli dans une cure ignorée, au fond d’un bois et sans aucun rapport avec les choses du siècle.

Oui, j’ai aimé comme personne au monde n’a aimé, d’un amour insensé et furieux, si violent que je suis étonné qu’il n’ait pas fait éclater mon cœur. Ah ! quelles nuits ! quelles nuits !

Dès ma plus tendre enfance, je m’étais senti