Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/410

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après quoi je me retirai dans ma chambre et je me couchai, bien déterminé à ne pas dormir et à voir ce que tout cela deviendrait. Je n’attendis pas longtemps ; Clarimonde entra en robe de nuit et, s’étant débarrassée de ses voiles, s’allongea dans le lit auprès de moi. Quand elle se fut bien assurée que je dormais, elle découvrit mon bras et tira une épingle d’or de sa tête ; puis elle se mit à murmurer à voix basse :

« Une goutte, rien qu’une petite goutte rouge, un rubis au bout de mon aiguille !… Puisque tu m’aimes encore, il ne faut pas que je meure… Ah ! pauvre amour ! son beau sang d’une couleur pourpre si éclatante, je vais le boire. Dors, mon seul bien ; dors, mon dieu, mon enfant ; je ne te ferai pas de mal ; je ne prendrai de ta vie que ce qu’il faudra pour ne pas laisser éteindre la mienne. Si je ne t’aimais pas tant, je pourrais me résoudre à avoir d’autres amants dont je tarirais les veines ; mais depuis que je te connais, j’ai tout le monde en horreur… Ah ! le beau bras ! comme il est rond ! comme il est blanc ! Je n’oserai jamais piquer cette jolie veine bleue. » Et, tout en disant cela, elle pleurait, et je sentais pleuvoir ses larmes sur mon bras qu’elle tenait entre ses mains. Enfin elle se décida, me fit une petite piqûre avec son aiguille et se mit à pomper le sang qui en coulait. Quoiqu’elle en eût bu à peine quelques gouttes, la crainte de m’épuiser la prenant, elle m’entoura