Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/412

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paupières ouvertes avec les doigts et je restais debout au long des murs, luttant contre le sommeil de toutes mes forces ; mais le sable de l’assoupissement me roulait bientôt dans les yeux, et, voyant que toute lutte était inutile, je laissais tomber les bras de découragement et de lassitude, et le courant me rentraînait vers les rives perfides. Sérapion me faisait les plus véhémentes exhortations, et me reprochait durement ma mollesse et mon peu de ferveur. Un jour que j’avais été plus agité qu’à l’ordinaire, il me dit : « Pour vous débarrasser de cette obsession, il n’y a qu’un moyen, et, quoiqu’il soit extrême, il le faut employer : aux grands maux les grands remèdes. Je sais où Clarimonde a été enterrée ; il faut que nous la déterrions et que vous voyiez dans quel état pitoyable est l’objet de votre amour ; vous ne serez plus tenté de perdre votre âme pour un cadavre immonde dévoré des vers et près de tomber en poudre ; cela vous fera assurément rentrer en vous-même. » Pour moi, j’étais si fatigué de cette double vie, que j’acceptai ; voulant savoir, une fois pour toutes, qui du prêtre ou du gentilhomme était dupe d’une illusion, j’étais décidé à tuer au profit de l’un ou de l’autre un des deux hommes qui étaient en moi ou à les tuer tous deux, car une pareille vie ne pouvait durer. L’abbé Sérapion se munit d’une pioche, d’un levier et d’une lanterne, et à minuit nous nous dirigeâmes vers le cime-