Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jouissent de faveurs qui raviraient un amant de joie. Le vent qui joue avec une chevelure parfumée ou qui donne à de belles lèvres des baisers qu’il ne peut apprécier, l’eau à qui cette volupté est bien indifférente et qui enveloppe d’une seule caresse un beau corps adoré, le miroir qui réfléchit tant d’images charmantes, le cothurne ou le tatbeb qui enferme un divin petit pied : oh ! que de bonheurs perdus !

Cléopâtre trempa dans l’eau son talon vermeil et descendit quelques marches ; l’onde frissonnante lui faisait une ceinture et des bracelets d’argent, et roulait en perles sur sa poitrine et ses épaules comme un collier défait ; ses grands cheveux, soulevés par l’eau, s’étendaient derrière elle comme un manteau royal ; elle était reine même au bain. Elle allait et venait, plongeait et rapportait du fond dans ses mains des poignées de poudre d’or qu’elle lançait en riant à quelqu’une de ses femmes ; d’autres fois elle se suspendait à la balustrade du bassin, cachant et découvrant ses trésors, tantôt ne laissant voir que son dos poli et lustré, tantôt se montrant entière comme la Vénus Anadyomène, et variant sans cesse les aspects de sa beauté.

Tout à coup elle poussa un cri plus aigu que Diane surprise par Actéon ; elle avait vu à travers le feuillage luire une prunelle ardente, jaune et phosphorique comme un œil de crocodile ou de lion.