Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/535

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« Voilà donc comment étaient faites les femmes de ce monde disparu ! » Et ils élèveraient un temple pour loger le divin fragment. Mais je n’ai rien qu’une admiration stupide et un amour insensé ! Adorateur unique d’une divinité inconnue, je ne possède aucun moyen de répandre son culte sur la terre ! »

Ainsi, dans Candaule, l’enthousiasme de l’artiste avait éteint la jalousie de l’amant ; l’admiration était plus forte que l’amour. Si, au lieu de Nyssia, fille du satrape Mégabaze, tout imbue d’idées orientales, il eût épousé quelque Grecque d’Athènes ou de Corinthe, nul doute qu’il n’eût fait venir à sa cour les plus habiles d’entre les peintres et les sculpteurs, et ne leur eût donné la reine pour modèle, comme plus tard le fit Alexandre le Grand pour Campaspe, sa favorite, qui posa nue devant Apelles. Cette fantaisie n’eût rencontré aucune résistance dans une femme d’un pays où les plus chastes se glorifiaient d’avoir contribué, celles-là pour le dos, celles-ci pour le sein, à la perfection d’une statue célèbre. Mais c’était à peine si la farouche Nyssia consentait à déposer ses voiles dans l’ombre discrète du thalamus, et les empressements du roi la choquaient, à vrai dire, plus qu’ils ne la charmaient. L’idée du devoir et de la soumission qu’une femme doit à son mari la faisait seule céder quelquefois à ce qu’elle appelait les caprices de Candaule.