Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/555

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larcin plus odieux, et il aurait préféré devoir à toute autre circonstance le bonheur de voir la merveille de l’Asie dans sa toilette nocturne. Peut-être bien aussi, avouons-le en historien véridique, l’approche du danger était-elle pour quelque chose dans ses scrupules vertueux. Gygès ne manquait pas de bravoure, sans doute ; monté sur son char de guerre, son carquois sonnant sur l’épaule, son arc à la main, il eût défié les plus fiers combattants ; à la chasse, il eût attaqué sans pâlir le sanglier de Calydon ou le lion de Némée ; mais, explique qui voudra cette énigme, il frémissait à l’idée de regarder une belle femme à travers une porte. ― Personne n’a toutes les sortes de courages. ― Il sentait aussi que ce n’était pas impunément qu’il verrait Nyssia. ― Ce devait être une époque décisive dans sa vie ; pour l’avoir entrevue un instant il avait perdu le repos de son cœur ; que serait-ce donc après ce qui allait se passer ? L’existence lui serait-elle possible lorsque à cette tête divine, qui incendiait ses rêves, s’ajouterait un corps charmant fait pour les baisers des immortels ? Que deviendrait-il, si désormais il ne pouvait contenir sa passion dans l’ombre et le silence, comme il l’avait fait jusqu’alors ? Donnerait-il à la cour de Lydie le spectacle ridicule d’un amour insensé, et tâcherait-il d’attirer sur lui, par des extravagances, la pitié dédaigneuse de la reine ? Un pareil résultat était fort probable, puisque la rai-