Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/568

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la souillure imprimée par les yeux de Gygès. Elle aurait voulu en quelque sorte s’arracher cette peau où les rayons partis d’une prunelle ardente lui paraissaient avoir laissé des traces. Prenant des mains des servantes les étoffes au long duvet qui servent à boire les dernières perles du bain, elle s’essuyait avec tant de force, qu’un léger nuage pourpre s’élevait aux places qu’elle avait frottées.

« J’aurais beau, dit-elle en laissant tomber les tissus humides et en renvoyant ses suivantes, verser sur moi toute l’eau des sources et des fleuves, l’Océan avec ses gouffres amers ne pourrait me purifier. Une pareille tache ne se lave qu’avec du sang. Oh ! ce regard, ce regard, il s’est incrusté à moi, il m’étreint, m’enveloppe et me brûle comme la tunique imprégnée de la sanie de Nessus ; je le sens sous mes draperies, tel qu’un tissu empoisonné que rien ne peut détacher de mon corps. J’aurai beau maintenant entasser vêtements sur vêtements, choisir les étoffes les moins transparentes, les manteaux les plus épais, je n’en porte pas moins sur ma chair nue cette robe infâme faite d’une œillade adultère et impudique. En vain, depuis l’heure où je suis sortie du chaste sein de ma mère, ai-je été élevée dans la retraite, enveloppée, comme Isis la déesse égyptienne, d’un voile dont nul n’eût soulevé le bord sans payer cette audace de sa vie ; en vain suis-je restée séparée de