Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment ouvertes, semblables à des roses à moitié effeuillées, car aucun ordre parti du cerveau ne venait leur donner d’action. Niobé, voyant succomber son quatorzième enfant sous les flèches d’Apollon et de Diane, n’avait pas une attitude plus morne et plus désespérée ; mais bientôt, sortant de cet état de prostration, elle se roula sur le plancher, déchira ses habits, répandit de la cendre sur sa belle chevelure éparse, raya de ses ongles sa poitrine et ses joues en poussant des sanglots convulsifs, et se livra à tous les excès des douleurs orientales, avec d’autant plus de violence qu’elle avait été forcée de contenir plus longtemps l’indignation, la honte, le sentiment de la dignité blessée et tous les mouvements qui agitaient son âme ; car l’orgueil de toute sa vie venait d’être brisé, et l’idée qu’elle n’avait rien à se reprocher ne la consolait pas. Comme l’a dit un poète, l’innocent seul connaît le remords. Elle se repentait du crime commis par un autre.

Elle fit cependant un effort sur elle-même, ordonna d’apporter les corbeilles remplies de laines de différentes couleurs, les fuseaux garnis d’étoupe, et distribua le travail à ses femmes comme elle avait coutume de le faire ; mais elle crut remarquer que les esclaves la regardaient d’une façon toute particulière et n’avaient pas pour elle le même respect craintif qu’auparavant. Sa voix ne vibrait pas avec la même assurance,