Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/572

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sa démarche avait quelque chose d’humble et de furtif ; elle se sentait intérieurement déchue.

Sans doute, ses scrupules étaient exagérés, et sa vertu n’avait reçu aucune atteinte de la folie de Candaule ; mais des idées sucées avec le lait ont un empire irrésistible, et la pudeur du corps est poussée par les nations orientales à un excès presque incompréhensible pour les peuples de l’Occident. Lorsqu’un homme voulait parler à Nyssia, en Bactriane, dans le palais de Mégabaze, il devait le faire les yeux baissés, et deux eunuques, le poignard à la main, se tenaient à ses côtés prêts à lui plonger leurs lames dans le cœur, s’il avait l’audace de relever la tête pour regarder la princesse, bien qu’elle n’eût pas le visage découvert. ― Vous jugez aisément quelle injure mortelle devait être pour une femme élevée ainsi l’action de Candaule, qui n’eût sans doute été considérée par tout autre que comme une légèreté coupable. Aussi l’idée de la vengeance s’était-elle présentée instantanément à Nyssia, et lui avait-elle donné assez d’empire sur elle-même pour étouffer, avant qu’il arrivât à ses lèvres, le cri de sa pudeur offensée, lorsque, retournant la tête, elle avait vu flamboyer dans l’ombre la prunelle étincelante de Gygès. Il lui avait fallu le courage du guerrier en embuscade qui, frappé d’un dard égaré, ne pousse pas une seule plainte, de peur de se trahir derrière son abri de feuillage ou de