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aventures du baron de münchhausen.

quelques signes de vie, et, m’étant approché, je la vis, en effet, remuer la main. Je saisis cette main et ramenai sur le bord ce corps d’apparence cadavérique. Quoique l’art de réveiller les morts fût moins avancé à cette époque qu’aujourd’hui, où à chaque porte d’auberge on lit sur un écriteau : Secours aux noyés, les efforts et les soins d’un apothicaire de l’endroit parvinrent à raviver la petite étincelle vitale qui restait chez cette femme. Elle était la moitié chérie d’un homme qui commandait un bâtiment attaché au port de Helvoetsluys, et qui avait pris la mer depuis peu. Par malheur, dans la précipitation du départ, il avait embarqué une autre femme que la sienne. Celle-ci fut aussitôt instruite du fait par quelques-unes de ces vigilantes protectrices de la paix et du foyer domestique, qu’on nomme amies intimes ; jugeant que les droits conjugaux sont aussi sacrés et aussi valables sur mer que sur terre, elle s’élança dans la chaloupe à la poursuite de son époux ; arrivée à bord du navire, elle chercha, dans une courte mais intraduisible allocution, à faire triompher ses droits d’une façon si énergique que le mari jugea prudent de reculer de deux pas. Le résultat de ceci fut que sa main osseuse, au lieu de rencontrer les oreilles de son mari ne rencontra que l’eau, et comme cette surface céda avec plus de facilité que ne l’eût fait l’autre, la pauvre femme ne trouva qu’au fond de la mer la résistance qu’elle cherchait.