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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

Michel-Ange passe en général pour un peintre sombre, bilieux, courroucé, ayant atteint les dernières limites du terrible ; violent et féroce de style, sauvage dans son faire, austèrement catholique et tout à fait semblable à Dante, sa grande admiration. Cette idée paraît juste au premier coup d’œil. Cependant rien n’est plus faux.

L’illustre, rival de Raphaël est un artiste païen, amoureux de la forme, autant et plus qu’un sculpteur grec, lui sacrifiant tout, sujet, convenance, possibilité, ne s’inquiétant que d’elle, ne voyant qu’elle, et la poursuivant à travers tout avec une véhémence et une opiniâtreté sans pareille. Quand Michel-Ange trace un contour, il le pousse toujours jusqu’aux dernières conséquences ; il en tire tout ce qu’il peut donner, et souvent plus qu’il ne peut donner.

Pour lui il n’existe qu’une chose dans l’univers : l'homme ; — le reste n’est rien. Je ne sais si Michel-Ange s’est jamais aperçu qu’il y avait un ciel, des maisons, des arbres, des fabriques, des terrains ; j’en doute, ou du moins il s’en est peu soucié. — Il n’a pris de la terre que ce qu’il en fallait pour poser les pieds de ses figures, et encore, comme il n’en voulait guère prendre, il leur dessinait des pieds. d’une extrême petitesse ; du ciel, il n’a emprunté que quelques blocs de nuages solides comme des quartiers de marbre, pour les faire servir de point d’appui