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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

amants petits ; son Marius n’est qu’un point blanc, la Carthage est démesurée comme toutes les villes de Martynn ; ce sont des profondeurs incroyables où des éclairs révèlent d’autres profondeurs qui se recutent à l’infini ; on voit d’immenses colonnades, des tours et des terrasses, des escaliers, des rampes et des pylones, des entassements de palais superposés comme Martynn sait en faire ; on dirait la réalisation d’un cauchemar architectural. Certes, un pareil spectacle doit inspirer de la rêverie et faire méditer sur l'inconstance de la fortune.

La sculpture, art totalement dénué de perspective, et d’ailleurs invinciblement dominé par une matière inflexible, se refuse donc à rendre ce programme ; l’artiste, quelque talent qu’il ait, ne peut faire sentir ce qui cause la rêverie de Marius, en admettant toutefois qu’une méditation sur l’inconstance de la fortune puisse s’exprimer avec les plus simples lignes du modèle. Car l’on ne peut admettre que ces tourtières et ces moules de gâteaux de Savoie éparpillés à terre entre les jambes de Marius fassent jamais naître l’idée de la ville de Carthage, la fastueuse rivale de Rome. Les élèves ont si bien senti l’obscurité du programme, que plusieurs ont écrit tout bonnement sur un moellon : Carthage ; il est à regretter qu’on n’ait pas gravé sur le dos du bonhomme : Marius, et qu’on ne lui ait pas fait sortir de la bouche un rouleau avec cette inscription : « Va