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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

ciaux ou littéraires, dont le temps est si précieux, s’engrènent dans les rails des chemins de fer et transportent leurs échantillons et leur stupidité d’un endroit à un autre avec la plus grande vitesse possible ; mais, pour Dieu, qu’il soit permis de s’en aller à petits pas en suivant la pente de sa rêverie, le tong des rivières, à travers les bois et les prairies, s’arrêtant pour cueillir une marguerite emperlée de rosée ou écouter siffler un merle, quittant la grande route pour les petits sentiers et n’en prenant qu’à son aise. Faites de la prose, mais laissez faire des vers ; plantez des pommes de terre Rohan, mais n’arrachez pas les tulipes nourrissez des oies, mais ne tordez pas le cou aux rossignols, et souvenez-vous que le gros Martin Luther disait familièrement : Celui qui n’aime pas le vin, la musique et les femmes, celui-là est un sot et le sera sa vie durant ; avec toutes vos prétentions, vous êtes incomplets, et vous ne comprenez qu’une moitié de l’homme. Vous croyez que le bonheur consiste en biftecks cuits à point et en bonnes lois électorales. J’estime fort ces choses, mais le confort ne suffit pas ; et à toute organisation d’élite il faut l’art, il faut la beauté, il faut la forme ! C’est le vêtement que Dieu a filé de ses mains pour habiller la nudité du monde. Cette querelle n’est pas neuve malheureusement, et ce n’est pas d’aujourd’hui que les mathématiciens demandent, en lisant Racine, qu’est-ce que cela prouve ?