Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Khané qui forme le frontispice, vous êtes déjà en pleine couleur locale ; vous donnez un dernier regard aux caidjis, dont les vêtements brodés et les chemises de soie à manches flottantes brillent sous un rayon de soleil ; et, dès les premiers pas que vous faites dans une de ces étroites ruelles, vous vous trouvez au milieu d’une population fourmillante d’Arméniens, de Grecs, de Juifs, de Tartares, de Circassiens, de Turcs d’Europe et d’Asie, d’Albanais, d’Ioniens, de Persans et d’Arabes, vrai bal travesti en plein jour, Babel d’idiomes, où le cardinal Mezzofanti trouverait des interlocuteurs pour toutes les langues qu’il sait. Vous êtes coudoyés par les hamals, qui vous crient : gare ! forcés de vous coller contre le mur par le cheval lancé au galop d’un chef arnaute qui passe, étincelant de dorures et d’armes précieuses ; tout en marchant, vous voyez dans les boutiques des barbiers les croyants qui se font raser la tête et tailler la barbe, antithèse complète des habitudes européennes ; le café où l’on vient fumer le narguilé et la chibouque au son d’un orchestre chevrotant composé de trois Valaques nasillards. Plus loin, c’est un couvent de derviches, avec leurs cônes de feutre gris sur la tête, qui d’un air béat égrènent leur chapelet ; ici, les boutiques de pâtissier vous offrent leurs sorbets à la neige, leurs crèmes au caramel et leurs délicieux gâteaux à la pistache ; là, les fritures grésillent dans la poêle, les fruitiers en-