Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/228

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foncent le couteau dans la chair rose de la pastèque, et étalent des légumes étranges. Maintenant c’est un santon qui magnétise un malade dans la rue ou exorcise un possédé. Tout d’un coup, cette foule pressée s’ouvre et se range, des eunuques à cheval distribuent des coups de bâton à droite et à gauche ; ils précèdent un vaste arabas doré, traîné par des bœufs, enfermant tout un harem qui va se divertir aux eaux douces d’Europe ou à celles d’Asie ; ou bien c’est un convoi de l’Église grecque ayant en tête des popes couronnés comme des empereurs du Bas-Empire, à moins que ce ne soit le sultan lui-même, faisant à cheval son pèlerinage du vendredi à une des mosquées de la ville, accompagné d’officiers à la poitrine constellée d’ordres de diamants.

Si, pénétrant plus loin, vous arrivez au centre de Stamboul, vous vous engagez dans une sorte de ville souterraine aux passages voûtés, aux murailles épaisses, aux galeries sombres, à travers une architecture massive et trapue qui rappelle le style byzantin. Vous voilà au grand bazar, l’entrepôt des richesses du monde. On ne saurait imaginer un coup d’œil plus splendide ; c’est un ruissellement de pierreries aux folles bluettes, aux phosphorescences soudaines, un amas de brocarts d’or et d’argent dont les plis raccrochent la lumière, d’armes damasquinées de formes bizarres et d’un travail merveilleux qui jettent des éclairs du fond de l’ombre, tout ce