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LE BARON DE MUNCHHAUSEN.

vérité étonnante, des raisons, de l’ingéniosité la plus subtile, des attestations scientifiques d’un sérieux parfait, à rendre probable l’impossible. Sans doute, on n’arrive pas à croire les récits du baron de Münchhausen mais à peine a-t-on entendu deux ou trois de ses aventures de terre ou de mer, qu’on se laisse aller à la candeur honnête et minutieuse de ce style, qui ne serait pas autre s’il avait à raconter une histoire vraie. Les inventions les plus monstrueusement extravagantes prennent un certain air de vraisemblance, déduites avec cette tranquillité naïve et cet aplomb parfait. La connexion intime de ces mensonges qui s’enchaînent si naturellement les uns aux autres finit par détruire chez le lecteur le sentiment de la réalité, et l’harmonie du faux y est poussée si loin qu’elle produit une illusion relative, semblable à celle que font éprouver les voyages de Gulliver à Lilliput et à Brobdignag, ou bien encore l’Histoire véritable de Lucien, type antique de ces récits fabuleux tant de fois imités depuis. Ici, le crayon de Gustave Doré augmente encore le prestige ; personne mieux que cet artiste, qui semble avoir cet œil visionnaire dont parle Victor Hugo dans sa pièce à Albert Dürer, ne sait faire vivre d’une vie mystérieuse et profonde les chimères, les rêves, les cauchemars, les formes insaisissables noyées de lumière et d’ombre, les silhouettes drolatiquement caricaturales et tous les monstres de la fantaisie ; il a com-