Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/48

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ordonnance, arrangement et couleur, est le dernier mot de la peinture d’apparat. Le génie de Venise respire tout entier dans ce splendide chef-d’œuvre, avec son insouciance cosmopolite, son mélange de tous les costumes, son amour du faste, son goût théâtral et décoratif, sa passion de lumière et d’éclat. Aucun tableau n’est plus profondément vénitien que les Noces de Cana, qui, par un volontaire anachronisme, ne se passent pas en Judée, dans quelque pauvre maison blanchie à la chaux, mais sur le bord du Grand-Canal ou de la Brenta, dans la villa de marbre de quelque magnifique seigneur de la sérénissime République, dont le nom est inscrit au livre d’or, un Foscari, un Loredan,un Vendramin,ou quelqu’un de ceux-là, dont Titien et Pâris Bordone nous ont laissé les portraits. Il s’agissait de déployer, autour d’un vaste festin, au milieu d’une architecture élégante et grandiose, tout un monde bariolé de types et de costumes, de faire briller les orfrois des brocarts, miroiter les cassures du velours et du satin, et surtout de montrer la force, la santé et la joie de vivre dans des visages radieux, exempts d’inquiétudes, et des corps robustement superbes. Quant au sujet religieux, le peintre ne s’en est pas beaucoup plus préoccupé que le spectateur n’y pense devant son tableau. Il est bien vrai qu’au milieu de la table, disposée en fer à cheval, on aperçoit le Christ et sa divine mère, reconnaissables à leurs auréoles et à leurs habits, qui ne sont pas tout à fait à la dernière mode vénitienne ; même le Christ fait le signe qui doit opérer le miracle et changer l’eau en vin,