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DEPUIS VINGT-CINQ ANS 245

des épithètes sonores, de l’alexandrin musical. Là, les poëtes ont encore une lyre et improviseraient aisément leurs vers sur quelque promontoire, en face des flots et du soleil, au milieu d’un cercle d’auditeurs, comme sur le cap Sunium ou le môle de Naples. Certes, s’il est une œuvre calme, reposée et sereine, taillée dans le pentélique de l’hexamètre par un ciseau amoureux, c’est la Fille d’Eschyle. Eh bien, malgré l’état de fiévreux enthousiasme et de préoccupation ardente dans lequel nous vivons, toutes ces qualités délicates et tranquilles ont été appréciées avec une justesse et une attention dont on eût cru le public incapable au milieu de ces événements inouïs, qui se succèdent avec une rapidité magique, et font de la vie un rêve éveillé. Le nom d’Autran, lancé dans un tonnerre d’applaudissements, n’a pas suffi à cette jeunesse enivrée de nectar ; il a fallu que la personne même du poëte, effaré d’un si grand succès, et tout ébloui du rayonnement de sa gloire subite, se prêtât à une ovation réclamée à grands cris. Nous aimons à constater ce pur succès littéraire, dans ce temps où la politique semble devoir absorber les intelligences. Les esprits s’élargissent avec la liberté, et le grand est le frère du beau. L’homme qui a pensé tout le jour aux destinées de la patrie, doit vibrer, le soir, aux nobles idées exprimées dans une belle forme. La Fille d’Eschyle n’a rien d’historique que les noms ; tout le reste est d’invention pure et imaginé avec beaucoup d’art dans les probabilités grecques. Eschyle, le soldat et le poëte invaincu, l’initié aux suprêmes mystères d’Éleusis, a vu s’entasser sur son front les couronnes tragiques. La blancheur des dernières années, en descendant sur sa tête comme la neige sur le sommet de l’Hymelte, y a trouvé toujours vivace le laurier du triomphe. Il domine, de sa cime argentée et verte, toutes les humbles collines groupées autour de lui. Cependant, le pâle troupeau des envieux s’agite dans l’ombre des vallées inférieures. On explique la grandeur profonde et mystérieuse des œuvres d’Eschyle par la révélation des arcanes sacrés. Les prêtres de Cérès l’accusent d’impiété et de profanation. Un jeune homme combat avec éloquence ces imputations absurdes;