Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/146

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curiosités, rue de la Paix, 8, chez lesquels se distribue le présent catalogue. »

Nulle élégie ne nous a plus ému que cette simple nomenclature qui, sous son aridité de style, de vérité, cache un poëme de muette douleur. C’est comme une nénie de séparation éternelle, comme l’adieu d’un voyage sans retour. À quoi bon des meubles à celui qui n’a plus de foyer, et qui va errer de rivage en rivage sur la terre étrangère, suivi du petit groupe de la famille, hélas ! déjà diminué par la mort. Pourquoi conserver cette maison veuve où le maître ne rentrera plus ? Que ferait d’un lit, d’une table, d’un fauteuil le poète qui n’a plus que le monde pour patrie ?

Fatales nécessités, sur lesquelles nous devons nous taire, et qu’il ne nous appartient pas de discuter, mais qu’il nous est permis au moins de déplorer, car nous avons été le disciple, l’admirateur, et nous sommes toujours l’ami du grand homme ainsi frappé. Qui nous eût dit, après les soirées triomphales d’Hernani, de Lucrèce Borgia, de Ruy-Blas, lorsque perdu, nous l’un des plus obscurs, dans un flot de jeunesse enthousiaste, nous suivions le poëte, attendant un sourire, un mot amical, une poignée de main, que le maître suprême, le dieu de la poésie, que nous n’abordions qu’avec des terreurs et des tremblements, aurait un jour besoin du secours de notre plume, afin d’annoncer la vente de son mobilier pour cause de départ, et d’ajouter, par la publicité, quelque obole à son pécule d’exil !