Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/154

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plus transparente. Bien qu’il ait trempé, comme tous les écrivains arrivés aujourd’hui, dans le grand mouvement romantique de 1830, le style du dix-huitième siècle lui suffit pour exprimer tout un ordre d’idées fantastiques ou singulières. — Il écrit un conte d’Hoffmann avec la plume de Cazotte, et dans ses Femmes du Caire on croirait entendre parler M. Galland par la bouche de Schéhérazade : l’étrangeté la plus inouïe se revêt, chez Gérard de Nerval, de formes pour ainsi dire classiques ; il a des pâleurs tendres, des tons amortis à dessein, des teintes passées, comme dans les tapisseries de vieux châteaux, d’une harmonie et d’une douceur extrêmes qui plaisent mieux que les dorures neuves et les enluminures criardes dont on a été si prodigue. Le détail, discrètement atténué, laisse toute la valeur à l’ensemble, et, sur ce fond de nuances neutres ou assoupies, les figures que l’auteur veut mettre en relief se détachent avec une illusion de vie magique pareilles à ces portraits peints sur un champ d’ombres vagues qui retiennent invinciblement le regard.

Les sympathies et les études de Gérard de Nerval l’entraînaient naturellement vers l’Allemagne, qu’il a souvent visitée, et où il a fait de fructueux séjours : l’ombre du vieux chêne teutonique a flotté plus d’une fois sur son front avec des murmures confidentiels ; il s’est promené sous les tilleuls à la feuille découpée en cœur ; il a salué au bord des fontaines l’elfe dont la robe blanche traîne un ourlet mouillé parmi l’herbe verte ; il a vu tourner