Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/156

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Thulé. — Pendant qu’il marche, des figures charmantes sourient à travers le feuillage ; les jolies couleuvres de l’étudiant Anselme dansent sur le bout de leurs queues, et les fleurs qui tapissent le revers du fossé tiennent des conversations panthéistes : la vie cachée de l’Allemagne respire dans ses promenades fantasques, où la description finit en légende et l’impression personnelle en fine remarque philosophique ou littéraire. Seulement, notez-le bien, la veine française ne s’interrompt jamais à travers ces divagations germaniques.

À cette époque de la vie de l’auteur il faut rattacher le beau drame de Léo Burckart, joué à la Porte-Saint-Martin, et qui restera une des plus remarquables tentatives de notre temps. Léo Burckart est un publiciste qui, dans le journal qu’il dirige, a émis des idées politiques et des plans de réforme d’une hardiesse et d’une nouveauté à faire craindre pour lui les rigueurs du pouvoir ; mais le prince, convaincu de sa bonne foi, au lieu de le bannir, lui donne la place du ministre qu’il a critiqué, le sommant de réaliser ses théories et de mettre ses rêves en action. Léo accepte, et le voilà en contact direct avec les hommes et les choses, lui le libre rêveur qui au fond de son cabinet tenait si aisément le monde en équilibre sur le bec de sa plume. Épris d’un idéal abstrait, il veut gouverner sans les moyens de gouvernement ; comme un ministre de l’âge d’or il ferme l’oreille aux chuchotements de la police, et ne sait pas que la vie du prince est menacée et que