Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/250

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Cabat, trouvait des paysages charmants aux environs d’Aumale. Théodore Rousseau, après s’être inspiré des coteaux de Sèvres et de Meudon, s’était aventuré jusqu’à la forêt de Fontainebleau, alors presque inconnue, et il y avait planté sa tente. Là il peignait des arbres, des rochers, des ciels, comme si Berlin, Bidault, Watelet, Michallon n’eussent jamais existé ; des arbres qui n’étaient pas historiques, des rochers où ne s’abritait pas la nymphe Écho, des ciels que ne traversait pas Vénus sur son char. Il rendait ce qu’il voyait avec son attitude, son dessin, sa couleur, ses rapports de ton, naïvement, sincèrement, amoureusement, ne se doutant pas que c’était là une audace presque insensée, et qu’il allait passer pour barbare, chimérique et fou.

La vérité a ce privilège lorsqu’elle se montre dans sa saine nudité, au milieu de nos vaines apparences et de nos mensonges spécieux ; on la trouve indécente et l’on veut la faire rentrer dans son puits. Après avoir paru une fois au Salon, par surprise sans doute, Rousseau en fut exclu systématiquement pendant de longues années. L’Institut semblait craindre que ce feuille révolutionnaire ne renversât la société de fond en comble. À chaque refus d’admission, c’étaient dans la jeune presse d’alors des cris, des injures, des diatribes contre le jury, dont on ne saurait se faire une idée. Quelle consommation d’épithètes et de métaphores outrageantes ! Nous-même nous étions, à l’endroit de ces pauvres jurés, d’une férocité qui nous fait sourire aujour-