Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

offrent réellement au sein de la vaste nature, où l’homme disparaît si aisément. Sauf quelque particularité de site, Paysage est encore le meilleur titre qu’on puisse donner à un paysage, et c’est ce qui nous empêche de citer ici les principales œuvres de Théodore Rousseau, comme il était si facile de le faire pour Ingres. La postérité saura bien leur trouver des noms, comme pour Ruysdaël ou pour Hobbema.

Contrairement à la plupart des peintres, qui se confinent dans une manière qui devient reconnaissable comme une écriture, Rousseau est très-varié dans son œuvre ; il cherche la vérité par tous les moyens : tantôt il empâte, tantôt il frotte ; cette fois il procède avec la fougue de l’esquisse ; cette autre, il finit minutieusement ; aujourd’hui il choisit un site qu’il présente à une heure particulière, sous un aspect presque fantastique, comme en offre souvent la nature à ses contemplateurs assidus ; demain il reproduira avec bonhomie une campagne toute plate, accidentée d’un chemin communal, et hérissée de quelques maigres peupliers ; ou bien il s’enfonce dans sa forêt chérie ; il prend un chêne et en fait le portrait comme on ferait celui d’un dieu, d’un héros ou d’un empereur. Quelle majesté et quelle force active encore dans cet ancien de la forêt, dans ce burgrave végétal, digne d’être chanté par Laprade, qui a vu les siècles tomber autour de lui comme les feuilles jaunes de l’automne ! Il eût rendu des oracles à Dodone et fourni le gui sacré,