Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/413

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au personnage et se gravent ineffaçablement dans la mémoire. Quel exemple frappant de cette faculté que la chanson des Aventuriers de la mer ! Les rimes se renvoient, comme des raquettes un volant, les noms bizarres de ces forbans, écume de la mer, échappés de chiourme venant de tous les pays, et il suffit d’un nom pour dessiner de pied en cap un de ces coquins pittoresques campés comme des esquisses de Salvator Rosa ou des eaux-fortes de Callot.

Quel étonnant poème que le morceau destiné à caractériser la Renaissance et intitulé le Satyre ! C’est une immense symphonie panthéiste, où toutes les cordes de la lyre résonnent sous une main souveraine. Peu à peu le pauvre Sylvain bestial, qu’Hercule a emporté dans le ciel par l’oreille et qu’on a forcé de chanter, se transfigure à travers les rayonnements de l’inspiration et prend des proportions si colossales, qu’il épouvante les Olympiens ; car ce satyre difforme, dieu à demi dégagé de la matière, n’est autre que Pan, le grand tout, dont les aïeux ne sont que des personnifications partielles et qui les résorbera dans son vaste sein.

Et ce tableau qui semble peint avec la palette de Vélasquez, la Rose de l’infante ! Quel profond sentiment de la vie de cour et de l’étiquette espagnoles ! comme on la voit cette petite princesse avec sa gravité d’enfant, sachant déjà qu’elle sera reine, roide dans sa jupe d’argent passementée de jais, regardant le vent qui enlève feuille à feuille les pétales de sa rose et les disperse sur le miroir sombre