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ISOLINE

— « Voilà du calme, » dit l’abbé.

Le paysage change à chaque moment. La rivière s’est beaucoup resserrée, elle décrit de grandes ondes à travers des bois de hauts sapins dont les perspectives noires s’enfoncent.

Gilbert poursuit sa rêverie qui s’attriste de plus en plus. Tout en regardant le long reflet des arbres dans l’eau, il interroge son cœur qui lui répond : Néant. Et cette sensation de vide lui cause une douleur presque physique. Il cherche en lui la vibration d’un sentiment quelconque à l’approche de son foyer et n’éprouve absolument rien. C’est que les affections puissantes ne sont plus ; sa mère, pour qui chacun de ses départs était une agonie, a fini de souffrir ; l’océan a dévoré son père. Il n’a plus d’autre famille que celle de cette sœur qui le voit s’éloigner sans grande tristesse et revenir sans grande joie. Il n’y a donc pas pour lui, au bout de ces mers sans cesse traversées, un port qu’il désire revoir : le sol natal où il vit si peu lui est indifférent et les terres lointaines dont il ne connaît que les rives ne l’ont séduit que fugitivement. Que lui est-il resté même de ces amours rapides, nouées et dénouées, condamnées en naissant ? Rien qu’un souvenir léger