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LA TUNIQUE MERVEILLEUSE.

Li délayait le bâton d’encre, l’encre gelait. La jeune fille disait tout haut les noms qu’elle traçait sur le papier rouge. Chaque nom arrachait un soupir à San-Ko-Tcheou.

— « Celui-là, c’est un avale-tout, disait-il, il mange jusqu’à ce qu’il étouffe ; cet autre est altéré comme le sable des steppes de Tartarie ; quant à celui-ci, il jette à poignées les liangs d’or comme si c’étaient des cailloux ; le jour où j’ai dîné chez lui, on n’a pas servi moins de quatre-vingt-douze plats ; te souviens-tu ! Koo-Li ?

— Oh oui ! » fit Koo-Li, les yeux au ciel.

Il avait partagé avec les autres serviteurs les reliefs du festin, et s’était donné ce jour-là une délicieuse indigestion, la seule qu’il eût eue de sa vie.

— « N’oublions pas d’inviter votre neveu Cœur-de-Rubis, dit la jeune fille. Il a la langue bien pendue, et, tandis qu’il parle, on oublie de manger. »

Cette raison sembla décider San-Ko-Tcheou, qui avait fait d’abord un geste de dénégation.

— « A-Mi-To-Fo ! s’écria-t-il lorsque les invitations furent prêtes, que voilà une belle aventure ! N’était-ce pas assez d’avoir à nous nourrir nous-