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ISOLINE

Rien de banal ne ternissait cet esprit solitaire, replié sur lui-même, mais n’ayant jamais subi l’influence des âmes étroites ni d’aucun préjugé mesquin.

Gilbert la regardait avec une religieuse admiration, paralysé, ne trouvant pas un mot à dire.

Ce fut elle qui rompit le silence ; elle semblait depuis un moment suivre une pensée et la question voltigea, irrésolue, sur ses lèvres avant de résonner.

— « On m’a dit que vous étiez triste : pourquoi ?

— Je suis orphelin, répondit-il, et jusqu’à présent mon cœur était désert.

— Oui, dit-elle, il vaut mieux n’aimer jamais que de perdre ce qu’on aime.

— Oh ! ne dites pas cela, s’écria Gilbert, avec une exaltation involontaire, le regret, tout poignant qu’il soit, a encore sa douceur. On se souvient de ceux qu’on a aimés et on espère les retrouver en une éternité possible ; mais celui dont l’âme aride a desséché toute tendresse ne doit avoir qu’un espoir, celui de mourir tout entier. »

Elle l’écoutait, surprise de l’emportement de cette parole, frappée de l’éclat singulier de ces yeux clairs ; puis elle se replongea dans le silence familier